En compagnie des comédiens Marina Keltchewsky et François-Xavier Phan, l’autrice et metteure en scène creuse, avec Circulations capitales, dans les mémoires intimes et familiales. Entremêlant avec finesse le récit de leurs trois trajectoires, elle recrée du lien là où l’Histoire l’avait défait.
Pour tisser des liens entre fiction et document, entre corps et politique ou encore entre questions féministes et postcoloniales, l’autrice et metteure en scène Marine Bachelot Nguyen mène pour chacune de ses créations de longues recherches dans des champs divers, souvent éloignés. Dans Circulations capitales, ces champs sont d’abord des individus : les comédiens Marina Keltchewsky et François-Xavier Phan, qu’elle décide de rassembler dans une sorte de mini-laboratoire. L’objectif de l’opération est ambitieux : « remettre en circulation les langues et les héritages, les transmissions interrompues. Et observer comment les grandes idéologies (colonialisme, christianisme, colonialisme, communisme, capitalisme) s’entrelacent dans les biographies, les corps, les histoires familiales ». C’est à Saïgon, dans le cadre de deux résidences organisées par l’Institut Français de Hô Chi Minh Ville, que le trio établit sa base de recherche. Ce qui ne l’empêche pas de s’en éloigner très souvent, pour dire ce qui le relie aux deux autres pays qui le constituent : la Russie pour Marina, et la France pour tous les trois.
Tout en faisant le récit de leur voyage à Saïgon, et donc de leur aventure théâtrale, les trois artistes nous emmènent sur les traces de leurs ancêtres. Ils interrogent leurs héritages, à commencer par leurs noms dont ils expliquent l’histoire et les significations familiales autant que politiques et sociales. Deux fils que leur récit à trois voix ne cessera de tirer, dans un aller-retour entre passé et présent qui prend corps au plateau grâce à la manière dont les comédiens nous ouvrent une partie de leur laboratoire. En partageant entre eux, et avec nous, le fruit de leurs recherches comme si c’était la première fois, ils font de leurs explorations individuelles et de leur enquête collective un espace ouvert. Un lieu dans lequel on se sent autorisé à circuler, à intervenir mentalement en faisant avec les récits des artistes ce qu’eux font ensemble, en mettant en écho nos souvenirs, nos connaissances avec celles qui s’échangent sur scène. Avec Circulations capitales, Marine Bachelot Nguyen prouve qu’à partir de trois voix, il peut y avoir carrefour.
Les destins qui s’y croisent sont multiples. Les grands-parents vietnamiens de la metteure en scène, qui quittent leur pays en 1957 pour Marseille, ouvrent le bal. Ils sont suivis de près par l’arrière grand-mère de Marina, dont la traversée depuis Sébastopol en Russie jusqu’à Sète en France en 1921, avec escale à Bizerte en Tunisie, est marquée par une naissance, celle de sa mère. On fait dans la foulée la connaissance de la mère de François-Xavier, qui naît dans la forêt en pleine guerre d’Indochine, et part pour la France avec son mari en 1964. On l’aura compris, au cœur du carrefour, il y a la fuite. « La fuite d’un grand C / La fuite du communisme », précisent Marine et François Xavier. Souvent, l’un prolonge la pensée de l’autre par un mot, une anecdote, une réflexion ou encore par la projection d’images. Les formes suivent les mêmes chemins que la pensée : plurielles, elles nourrissent toutes une conception de l’identité qui doit toujours bouger, circuler, parce qu’il y a tant à voir, à partager.
Dans leur parcours aux directions multiples, plein d’impasses et de passages secrets qu’ils étudient avec le même bonheur, la même exigence, les trois artistes rencontrent plusieurs grandes violences d’hier et d’aujourd’hui. Ils remontent aux origines de la colonisation française du Vietnam, puis en suivent les sinistres évolutions. En se penchant sur l’histoire de la grand-mère de Marina, religieuse au moment de la Seconde Guerre Mondiale, Circulations capitales évoque l’extermination des Juifs avant de laisser place à des têtes tranchées de Vietnamiens. « Il n’y a pas les visages de ceux qui ont coupé les têtes. Des militaires français, engagés dans ce qu’on appelle ‘’la pacification du Tonkin’’. Il n’y a pas les visages de ceux qui ont pris les photos. Des photographes armés d’un trépied et d’une chambre noire, qui shootent l’instantané post-exécution, qui shootent la ‘’pacification’’ ». Aux mots menteurs de la domination, Marine Bachelot Nguyen oppose ceux de la réconciliation. Loin des nombreux éloges béats et souvent vides du vivre-ensemble, son écriture fine, sensible et précise recrée du lien entre des destins brisés.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Circulations capitales
Écriture et mise en scène Marine Bachelot Nguyen, en complicité avec Marina Keltchewsky et François-Xavier Phan
Avec Marine Bachelot Nguyen, Marina Keltchewsky et François-Xavier Phan
Vidéo, scénographie et costumes Julie Pareau
Création lumière Stéphane Colin
Stagiaire assistanat à la mise en scène Joanna ArmaingCoproduction Le Canal, théâtre du pays de Redon, scène conventionnée d’intérêt National art et création pour le Théâtre ; Le Strapontin – scène de territoire arts de la parole (Pont-Scorff) ; Théâtre de Choisy-le-Roi / Scène conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité linguistique, en coopération avec PANTHEA
Partenaires au Viêtnam : Institut français de Hô-Chi-Minh-Ville, le Théâtre Hong Hac, le Lycée Français International Marguerite Duras.
Partenaires en France : Troisième Bureau (Grenoble) ; MC2 – Scène nationale (Grenoble) ; La Chartreuse de Villeneuve lez Avignon – Centre national des écritures du spectacle ; festival Mythos (Rennes) ; festival Nio Far (Paris); La Paillette MJC (Rennes) ; Spectacle Vivant en Bretagne (pour les représentations à Avignon 2021)Le projet bénéficie du soutien de l’Institut français, de la Région Bretagne, de la ville de Rennes et de Rennes métropole.
Durée : 1h35
Festival Off d’Avignon 2021
Théâtre de la Manufacture
du 6 au 25 juilletThéâtre des Quartiers d’Ivry
du 27 novembre au 2 décembre 2021L’Aire Libre – Saint-Jacques de la Lande
du 2 au 4 mars 2022
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