Au Théâtre de l’Atelier, la comédienne électrise la querelle conjugale de Feydeau, et prouve qu’elle est aussi à l’aise au plateau qu’à la mise en scène.
Émeline Bayart a déboulé telle une fusée dans le paysage théâtral français. Après avoir incarné Bécassine au cinéma dans le film de Bruno Podalydès, la comédienne avait remporté tous les suffrages – et une nomination aux Molières – dans le rôle de Renée, la bourgeoise folle à lier du Fric-Frac d’Edouard Bourdet, monté par Michel Fau, voilà deux ans, au Théâtre de Paris. Plus récemment, elle s’était imposée comme la pièce maîtresse du diptyque de Jean-Louis Benoît, Tchekhov à la folie, où elle n’hésitait pas à faire montre de son talent débridé pour révéler tout le potentiel comique de L’Ours et de La demande en mariage, assemblées en une seule et même suite au Poche-Montparnasse. Son irrépressible envie de théâtre en bandoulière, elle s’est, cette fois, dédoublée. Toujours au plateau, elle a voulu s’essayer à la mise en scène et s’emparer de l’un des tubes de Feydeau, On purge bébé, au Théâtre de l’Atelier.
Une audace – dans la démarche plus que dans le choix de la pièce, maintes fois représentée – qui prouve qu’elle est aussi à l’aise dans les habits d’actrice que dans ceux de cheffe d’orchestre. Plutôt que de se concentrer sur le substrat scatologique servi par le dramaturge, Émeline Bayart électrise la querelle conjugale qui pousse la famille Follavoine dans ses derniers retranchements nerveux. Alors qu’il s’apprête à recevoir le haut fonctionnaire d’Etat Chouilloux, venu, au nom de l’armée française, pour examiner ses pots de chambre réputés incassables, Bastien est embringué dans une folle scène de ménage avec sa femme, Julie. Envenimée par leur fils Toto, sept ans, qui, au grand dam de sa mère, refuse de se purger, la situation, partie d’un simple sceau d’aisance, devient rapidement hors de contrôle et fait du cocu notoire Chouilloux la victime collatérale d’un huis-clos qui tourne à la comédie de mœurs, et au jeu de massacre.
Dans le rôle de Julie Follavoine, Émeline Bayart s’impose, logiquement, comme la pierre angulaire de la distribution. Dès le prologue, où elle entonne Ça ne vaut pas la Tour Eiffel de Marguerite Deval, accompagnée par Manuel Peskine au piano, la comédienne donne le ton. Sa proposition sera irrévérencieuse et subtile, tonique et musicale. Car, en guise de soupapes de décompression pour ses personnages, qui semblent se servir de la musique pour adoucir les mœurs, elle ressuscite l’usage des couplets chantés, glissés çà et là tels des intermèdes salvateurs lorsque la pression comique devient trop forte. Ecrites et composées du temps de Feydeau, pour éviter tout anachronisme et saut de registre, ces chansonnettes, légères et malignes, scandent et impriment un rythme à ce vaudeville qui n’en manquait déjà pas.
Loin de voler la vedette à ses compagnons de jeu, Émeline Bayart leur ménage une place de choix, où ils peuvent exprimer tout leur talent comique. Dans un décor style Belle Epoque, avec une vue sur Paris et la Tour Eiffel en toile de fond, Eric Prat et Manuel Le Lièvre forment un délicieux duo, sorte de Dupond et Dupont un peu sots qui, en dépit de leur statut social élevé, sont rabaissés au rang de laquais, mi-soumis, mi-martyrs, dont Julie Follavoine dispose à sa guise. Presque méconnaissable dans la peau de Toto, Valentine Alaqui joue, quant à elle, avec toutes les facettes de ce rôle burlesque par excellence. Héritage d’un croisement entre Fifi Brindacier et Denis la Malice, elle mène, avec tyrannie et doigté, son monde à la baguette jusqu’à transformer la vie en joyeux cauchemar et le plateau en maison de fous.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
On purge bébé
de Georges Feydeau
Mise en scène Émeline Bayart
Avec Éric Prat, Émeline Bayart, Manuel Le Lièvre, Valentine Alaqui, Delphine Lacheteau, Thomas Ribière et Manuel Peskine (piano)
Scénographie et costumes Charlotte Villermet
Lumières Joël Fabing
Dramaturgie Violaine Heyraud
Assistant à la mise en scène Quentin Amiot
Arrangements musicaux Manuel PeskineProduction déléguée En Votre Compagnie
Coproduction Théâtre Montansier – Versailles, Théâtre Firmin-Gémier – La Piscine, En Votre Compagnie, Théâtre de l’Atelier
Avec l’aide de la Région Ile-de-France
Avec le soutien de l’Espace Sorano, l’Adami et la Spedidam
Avec la participation artistique du Studio d’Asnières-ESCADurée : 1h20
Théâtre de l’Atelier, Paris
A partir du 3 septembre 2021
Du mardi au samedi à 21h
Le dimanche à 17h
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