Depuis le 8 juin, le Théâtre de La Criée ouvre ses portes à la jeunesse marseillaise et aux habitants éloignés des institutions culturelles à travers « Rêvons au théâtre ». Un programme d’ateliers qui offre des rencontres privilégiées avec tous les métiers du spectacle vivant.
C’est par l’un des contes de son répertoire, où un enfant pauvre et voyageur s’éprend d’une princesse, que Lamine Diagne ouvre son atelier intitulé « La Prophétie des enfants ». Entrecoupé par un chant mongol et par les mélodies qu’il improvise avec un n’goni, guitare traditionnelle malienne, son récit embarque d’emblée les huit enfants installés en cercle autour de lui. Nous sommes sur le grand plateau du Théâtre de la Criée, où la plupart des membres du petit auditoire mettent les pieds pour la première fois. Ils n’hésiteront pourtant pas à prendre la parole lorsque le conteur leur demandera de décrire les images que font naître en eux ses mots, ou quand il les invitera à poursuivre une de ses histoires de manière collective, façon cadavre exquis. C’est qu’en matière d’ateliers, le conteur a du savoir-faire. De même que les huit autres artistes qui interviennent avec lui dans le cadre du programme « Rêvons au théâtre » mis en place pendant le confinement par la directrice du lieu Macha Makeïeff et son équipe. Objectif : recréer des liens entre le théâtre et la cité.
Voyages au cœur de La Criée
L’épidémie de coronavirus, le confinement sont abordés par certains des intervenants. Après les avoir fait participer à ses fictions, Lamine Diagne demande aux enfants de son groupe de raconter leur expérience. L’auteure, metteure en scène et comédienne Julie Villeneuve fait de même dans son atelier « Autour du point de bascule », où elle propose de transcender ce réel, de le réinventer au plateau. Toute autre approche pour le comédien Geoffroy Rondeau, qui partage en atelier son goût pour la lecture de textes poétiques, tandis que Valérie Dufayet met la philosophie à portée de tous, ou que Louise Deschamps fait écrire à ses groupes des scénarii et leur offre de réaliser de courts films… De nombreux arts et savoirs se croisent dans « Rêvons au théâtre ». De même que tous les métiers utiles à la vie d’un théâtre, des plus visibles jusqu’aux plus cachés.
Mené par Yves Giacalone, directeur technique de La Criée, l’atelier découverte « Le plateau et ses métiers » est à ce titre passionnant. Autour d’un spectacle visuel créé pour l’occasion, lui et collègues qui officient d’habitude dans l’ombre, se retrouvent en pleine lumière, visiblement heureux de partager les secrets de leurs métiers avec des jeunes. « Rêvons au théâtre » met aussi en avant le travail mené à l’année par des personnes plus éloignées encore de la scène, telles que Julie Nancy-Ayache, responsable des relations publiques et son associée Laura Abécassis, chargée des relations publiques, ou encore Hélène Courault, directrice adjointe des productions. Toute une équipe ravie de « construire de nouveau quelque chose, après avoir dû détricoter toute la fin de la saison », dit Laura Abécassis. Elle et ses collègues témoignent aussi de leur plaisir à être tous mobilisés sur un même projet, d’une manière inédite. « Les hiérarchies habituelles de la maison ont dû être bouleversées pour créer « Rêvons au théâtre », et cela nous fait beaucoup de bien après la crise que nous avons traversée », exprime Hélène Courault. Le rapport de La Criée à son territoire sortira forcément modifié de cette expérience.
Repenser la rencontre
En invitant dans ses murs des jeunes et des personnes en situation de précarité – des femmes de l’association Jane Pannier, des jeunes travailleurs en difficulté et de jeunes migrants primo-arrivants accompagnés par l’Association d’Aide aux Jeunes Travailleurs (AAJT) ou encore de jeunes adultes sortis du système scolaire sans diplôme ni qualification professionnelle de L’École de la 2ème Chance (E2C) –, La Criée inverse ses pratiques habituelles en matière d’action culturelle. « Jusque-là, nous allions à la rencontre de ces personnes, dans les écoles et les locaux des associations. En les accueillant au théâtre, un autre rapport se crée, que nous pensons plus durable car par les ateliers, ces visiteurs qui pour la plupart viennent pour la première fois à La Criée sont invités à s’approprier le lieu, à y déposer leur imaginaire », analyse Julie Nancy-Ayache, sous l’œil approbateur de Laura. Pour elles, « Rêvons au théâtre » est aussi l’occasion d’approfondir des relations avec des associations partenaires de longue date, et de tisser des relations nouvelles. Tout en continuant de défendre l’exigence artistique que revendique La Criée.
« Si ‘’Rêvons au théâtre’’ déplace toute l’équipe dans ses pratiques, il était important pour nous de se baser sur la compétence vérifiée d’artistes avec lesquels nous avons l’habitude de travailler. Nous ne faisons pas de l’animation : grâce aux grands professionnels qui mènent les ateliers, nous entendons proposer à nos hôtes le meilleur de ce que nous savons faire », affirme Macha Makeïeff. Les quelques ateliers auxquels nous avons pu assister confirment la justesse de ce parti pris. Grâce à leur sens aigu de la transmission et de l’écoute, Julie Villeneuve et Lamine Diagne suscitent par exemple chez leurs groupes – le jour de notre venue, de jeunes adultes de l’E2C pour la première, et des enfants de l’association Because U Art implantée dans le quartier de Noailles pour le second – des récits aussi intimes qu’inventifs.
Un galop d’essai réussi
« La période très particulière que nous avons tous vécue a été traversée par chacun d’une manière singulière. En suscitant de petites mises en scène de ce moment, j’aime à faire entrer en dialogue ces vécus et ces paroles qui me passionnent, de même que ceux de toutes les personnes avec qui je travaille depuis des années », dit Julie Villeneuve. Comme tous les artistes intervenants de « Rêvons au théâtre », elle accueillera des groupes tout au long du mois de juillet. Peut-être également en août, car face au nombre important de demandes de la part d’associations marseillaises et de structures scolaires, L’équipe de La Criée envisage de poursuivre ses ateliers. « Pour la première fois, nous allons nous inscrire dans le dispositif École ouverte mis en place en 1991, qui vise à accueillir l’été les jeunes qui ne partent pas en vacances, et à leurs proposer diverses activités », explique Laura Abécassis.
Ces expériences ont vocation à préparer une saison 21-22 en dialogue étroit avec son territoire. En plus d’apporter une réponse à toutes les questions posées par la crise, « Rêvons au théâtre » fait donc office de galop d’essai.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !