Au bas mot, une trentaine de théâtres de ville ont d’ores et déjà décidé de fermer leurs portes jusqu’en décembre. Face à ce mouvement naissant, producteurs privés et artistes ont rédigé une lettre ouverte à destination des directeurs et directrices de ces lieux. Son but : envisager ensemble les conditions d’une reprise dès septembre dans un réseau qui maille tout le territoire, véritable poumon économique du secteur. L’enjeu est de taille.
On concentre souvent le commentaire de l’actualité, avouons-le, sur les scènes labellisées – Théâtres nationaux, CDN, CCN et autres Scènes Nationales et Opéras ainsi que sur les théâtres privés parisiens. Il est pourtant un autre réseau, autrement plus important en nombre, qui fait largement vivre le spectacle vivant dans toute la France : celui des théâtres municipaux, qu’on appelle aussi théâtres de ville. Le SNSP – Syndicat National des Scènes Publiques – qui regroupe environ 200 de ces scènes dont une des caractéristiques est d’être largement subventionnée par des collectivités territoriales, a tenté d’en cerner l’activité dans une étude de 2016. Selon cette étude, ces scènes (le syndicat inclut aussi les festivals dans ses chiffres) donnent pas moins de 124000 représentations chaque année, pluridisciplinaires, composées pour un tiers de représentations théâtrales, pour un total d’environ 25 millions de spectateurs. Une manne donc, dont le secteur du spectacle vivant ne saurait se passer
Nulle surprise donc à ce que des producteurs privés, qui trouvent dans ces lieux la majeure partie des débouchés pour les spectacles qu’ils accompagnent (ils peinent davantage à se faire une place dans le secteur des scènes labellisées) aient vite réagi aux premières annonces de fermetures de théâtres de ville, prévues jusqu’au mois de décembre. « C’est entre vingt et trente lieux qui nous ont annoncé qu’ils allaient fermer leurs portes pour cette deuxième partie de saison, Mais, le mouvement est sans doute plus large. On ne connaît que celles avec lesquelles nous étions en négociations. Cela se passe notamment en Île-de-France et dans la Région Est. Mais cela survient aussi dans d’autres régions moins touchées par le Covid. » expliquent Fleur et Thibaud Houdinière, dirigeants d’Atelier Théâtre Actuel, qui comptent parmi les initiateurs de cette lettre.
« Par ailleurs, poursuivent-ils, c’est la période de l’année où l’on est censé recevoir les contrats d’engagement pour les spectacles de la saison prochaine, et la plupart des structures ne font pour l’instant que prolonger les options posées. Sans doute parce que beaucoup de spectacles ont été simplement reportés. Mais aussi parce qu’il y a une véritable réticence à s’engager sur l’avenir ». Une frilosité de grande ampleur, donc, que cette lettre, dans laquelle se sont associés producteurs et artistes, vise à contrer.
Responsabilité pénale et indemnités de l’État
A l’inverse des scènes labellisées qui ont, semble-t-il, largement honoré leurs contrats, jusque là, les théâtres de ville ont pourtant dans leur grande majorité annulé les contrats des spectacles de fin de saison, sans rembourser, ni dédommager les vendeurs. Ces premières fermetures sembleraient donc moins liées à des questions financières qu’à la crainte des élus de voir leur responsabilité engagée, s’il venait à se produire une contamination dans les lieux qu’ils ont sous leur responsabilité. C’est la raison qu’avance Philippe Chapelon, qui l’a d’ailleurs conduit à appeler directement l’AMF (Association des Maires de France) pour rassurer les édiles. On pourrait juger cette crainte excessive, vu la difficulté qu’il pourrait y avoir à établir la source d’une contamination de manière aussi certaine, mais elle témoigne aussi pour le directeur du SNES, syndicat National des Entreprises de Spectacle, d’une difficulté à se projeter concrètement dans un avenir de reprise de l’activité.
Pour les y aider, la lettre ouverte avance plusieurs pistes. Concernant l’une d’elles, Philippe Chapelon évoque avoir discuté avec le Ministre de la Culture de la possibilité d’indemniser les théâtres pour les réductions de jauges induites par les impératifs sanitaires. « Déjà, tous les spectacles ne se jouent pas à guichets fermés, évoque-t-il. Une réduction de 50% de la jauge ne veut pas dire une billetterie réduite d’autant. Et l’on peut imaginer un système qui verrait l’État indemniser les lieux, s’ils peuvent témoigner qu’ils ont dû refuser de vendre des places ». D’un autre côté, la lettre évoque également la possibilité de mutualiser les frais d’approche entre les théâtres – « c’est une part importante du coût des spectacles », rappelle Thibaud Houdinière – mais aussi de faire jouer deux fois les spectacles dans la même journée, pour un tarif à peine supérieur à celui d’une seule représentation.
Se poserait alors la question de la rémunération supplémentaire induite des comédiens et techniciens, mais Thibaud Houdinière explique avoir consulté des artistes qui n’étaient pas opposés à négocier sur le sujet. « Tout le monde est prêt à faire un effort, assure-t-il – la lettre inclut d’ailleurs la possibilité que les producteurs produisent également un effort financier – mais il faut absolument se rendre compte que si les spectacles ne reprennent pas en septembre, ça va être l’hécatombe ».
Raboter les budgets de la culture
A deux jours d’annonces du Président à destination du secteur de la culture, et alors qu’un rapport du Professeur Bricaire esquisse les conditions matérielles d’une reprise dans le spectacle vivant, Philippe Chapelon se veut donc optimiste. « Si l’on envisage la reprise de manière homogène, on n’y arrive pas. Mais si on la voit de manière progressive, c’est plus facile. Dans un premier temps, les seuls en scène sont plus aisés à mettre en place que les spectacles de troupe. Les quatuors de musique de chambre joueront plus facilement que les concerts symphoniques, surtout avec le problème spécifique des instruments à vent. Et pour les gros concerts, c’est sûr qu’il faudra attendre plus longtemps parce que la distanciation physique des spectateurs sera difficile à mettre en place. Mais les artistes de notoriété, comme tous les artistes, n’ont pas envie de tourner en rond. Et eux aussi vont réinvestir les petites salles ». A suivre ce discours volontariste, la rentrée pourrait donc bien s’effectuer dès septembre, et la lettre ouverte invite d’ailleurs à privilégier cette possibilité.
« Je pense que les théâtres qui ont décidé de fermer peuvent encore revenir sur leur décision, plaide d’ailleurs Philippe Chapelon. En ce moment tout va très vite ». Sans doute poussé par le déconfinement, l’espoir pourrait renaître. Et les perspectives de réouverture se faire de plus en plus concrètes à mesure que l’activité générale reprendra. A supposer toutefois que ces décisions de fermeture, semble-t-il prises majoritairement dans des municipalités de droite, ne constitue pas pour ces collectivités l’occasion d’opportunément raboter les budgets de la culture.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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