Alors que le Coronavirus condamne une partie du pays à rester chez soi, il conduit par extension les théâtres à garder le rideau baissé. Les prochaines semaines seront donc assez calmes pour les amateurs de spectacle vivant. L’ennui tuera-t-il plus que l’épidémie ? En guise de dernière réflexion historique avant les beaux jours, observons les rapports entre théâtre et épidémie.
Comme nous pouvons le lire un peu partout à l’heure actuelle, la France connait sa « crise sanitaire la plus grave depuis un siècle », autrement dit, depuis la grippe « espagnole » – qui était par ailleurs chinoise. Cette épidémie, qui a débutée à la fin de la Grande Guerre, n’a fait qu’aggraver des circonstances qui n’étaient pas toujours au beau fixe pour les entreprises de spectacles.
Aux débuts de l’épidémie de grippe « espagnole », en 1918 les autorités avaient d’abord minimisé l’impact de la pandémie afin de rassurer la population. L’enjeu était de ne pas ajouter à l’abattement d’une population minée par la guerre. À l’été 1918, la presse n’y consacre que peu d’attention, préférant se concentrer sur les faits d’armes de la France. Pourtant, depuis mai 1918, des nouvelles alarmantes arrivent d’Espagne, Le Journal du 28 mai relate – bien loin de la une cependant – que les salles de spectacles et les cabarets sont presque déserts et qu’Alphonse XIII, le roi lui-même, a la grippe !
Les artistes sont touchés, mais ne s’arrêtent pas de travailler, la première création de George et Ludmilla Pitoëff se fait à Lausanne en septembre 1918, alors que grippe ravage la cité helvète. Travaillant aux répétitions de L’Aiglon au théâtre Sarah Bernhardt, Edmond Rostand est touché à son tour et meurt de la grippe en décembre. Alors que la maladie se propage sur plusieurs années, la presse préfère toujours parler des conséquences et non pas du problème. En novembre 1920, la générale de L’Homme à la rose de Bataille débute avec une heure de retard à cause de la maladie qui touche les artistes. Le rôle-titre est aphone, nous apprend Le Temps du 29 novembre, l’indulgence du public est sollicitée, le journal écrit alors « la grippe [qui sévit alors depuis deux ans] se fait toujours applaudir au théâtre ».
Dans son étude sur la grippe « espagnole » à Toulouse, Pierre Alquier exhume un document qui illustre les manquements des autorités, « les circulaires [à propos de l’épidémie] sont touffues, mais elles peuvent se résumer en deux mots : débrouillez-vous », l’administration locale prend elle-même la décision de « déconseiller » aux personnes de se rendre dans les théâtres, cinémas et music-halls. On est en novembre 1918, près de quatre mois après le début de l’épidémie. Les autorités recommandent seulement « de ne pas stationner trop longtemps » dans les lieux où se rassemble la foule. La fermeture vient quelques semaines plus tard : la maladie a déjà frappé des millions de personnes.
Traumatisme
Face à un tel traumatisme, on pourrait s’attendre à une déferlante de pièces qui en seraient nées tant celui-ci évoque, encore aujourd’hui, la référence mondiale des épidémies. La grippe « espagnole » est le thème de chansons dans des cabarets et des revues, comme à l’Alcazar de Bruxelles en 1919. Pourtant, seules quatre pièces « majeures » sont restées et s’emparent du thème de la contagion virale aéroportée dont deux sont du même auteur : Eugène Ionesco.
En 1957, il publie Rhinocéros qui, à travers la « rhinocérite » qui touche tous les habitants d’une ville, dénonce toutes les formes de totalitarisme qui ont gangrené et gangrènent encore l’Europe. Plus tard dans sa carrière, le même auteur reprend l’idée d’un village ravagé par une épidémie dans Jeux de massacre (1970). Les habitants meurent les uns après les autres, touchés par une maladie qui les suppriment instantanément lorsqu’ils sont touchés par un mystérieux personnage. Dans cette pièce, Ionesco pousse les réactions jusqu’à l’absurde : les personnages paniquent, crient, se barricadent dans leur maison et, pourtant, personne n’en réchappe. Les villageois vont jusqu’à s’entretuer, de peur d’attraper la maladie d’une autre victime !
Avant lui, en 1883, Henrik Ibsen écrit L’Ennemi du peuple, davantage sur les jeux de la peur que sur la maladie. Cette critique sociale se déroule dans une cité thermale où un docteur crée le scandale en dénonçant une épidémie de typhoïde.
Une autre pièce a marqué les esprits outre-Atlantique, Unity 1918 (montée en France notamment par Vincent Goethals en 2004 à Saint-Etienne). Ce texte de Kevin Kerr, beaucoup joué au Canada et aux États-Unis, raconte le retour de soldats canadiens dans leur village de Saskatchewan où ils sont attendus par des épouses débordantes de désir de les retrouver. Malheureusement, ils ne rapportent pas que les stigmates de la guerre, mais aussi la grippe qui décime une partie de la population locale. Kerr dresse une galerie de personnages qui réagissent tous de façon très personnelle à cette apocalypse.
On n’oublie pas les pièces qui concernent l’épidémie de sida qui est représentée de façon régulière dans la dramaturgie contemporaine depuis la fin des années 1980, notamment par Jean-Luc Lagarce, et qui se retrouve chaque année sur scène, comme en témoigne la pièce Angels in America de Tony Kushner orchestrée par Arnaud Desplechin à la Comédie-Française cette saison. Il y a aussi la peste, avec le roman éponyme d’Albert Camus qui est régulièrement adapté ou Le Festin en temps de peste écrit par Pouchkine alors confiné dans son domaine lorsqu’une épidémie de choléra frappe la Russie.
Contrer les épidémies
Cependant, le théâtre a aussi été un moyen – et c’est toujours le cas aujourd’hui – de lutter contre les épidémies en devenant un outil d’éducation populaire.
Au Canada, la première campagne de vaccination contre la diphtérie dans la province du Québec est gratuite pour l’ensemble de la population en 1933. Elle est soutenue par des campagnes publicitaires à la radio et dans la presse, mais le service provincial d’hygiène organise aussi des pièces de théâtre éducatives pour sensibiliser le public à la vaccination.
Sur le continent Africain, plusieurs initiatives théâtrales doivent contribuer à éduquer la population à la prévention des maladies. Dans les années 1980 au Mali, l’Unicef commande un spectacle pédagogique sur la diarrhée et la malnutrition. En 1986, une troupe d’élèves monte un spectacle sur la poliomyélite pour sensibiliser à la vaccination et à la rééducation en cas de maladie. Les résultats sont étonnants : les représentations sont arrêtées car le stock de vaccins prévu arrive à sa fin. De nos jours, notamment au Congo, des troupes composent des sketches pour parler d’Ebola aux personnes les moins informées.
Yan Duyvendak, l’artiste performeur et metteur en scène suisse prépare le spectacle VIRUS conçu avec le docteur Philippe Cano et les développeurs de jeu Théo Rivière et Corentin Lebrat du collectif Kaedama. Ce spectacle va propulser le spectateur dans la gestion d’une crise plus que jamais d’actualité. Crash test en juin aux Subsistances à Lyon et première française en octobre au FAB à Bordeaux.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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