Lady Magma est une performance volcanique, une offrande dansante portée par des interprètes puissantes qui exhale les mystères du féminin et le sauvage en nous. La chorégraphe Oona Doherty signe là un spectacle manifeste et libératoire qui traque le corps-à-corps avec le public.
La nuit n’est pas encore complètement tombée, les cigales chantent à tue-tête, tandis que le public s’accumule dans l’enceinte de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Ambiance patiente, calme et silencieuse, induite par la beauté séculaire et la spiritualité du lieu que l’irruption d’une interprète vient rompre joyeusement. Micro en main, foulard dans les cheveux, dans une tunique bleu ciel ample qui lui dessine des ailes dès qu’elle ouvre les bras, cette femme magnétique au corps déployé vient nous tirer de notre torpeur et nous inviter à participer. Telle une chamane espiègle, une prédicatrice sans religion, notre oratrice galvanisante parvient à sortir les spectateurs de leur passivité requise, à les impliquer corps et voix dans un rituel improvisé d’empowerment, une thérapie collective incitant chacun.e à se déplier dans l’espace, bras levés vers l’infini, à respirer en conscience et se débarrasser de ce dont iel ne veut plus. Et pour aller plus avant (et plus vite) dans ce mouvement de libération, un verre nous est proposé avant de migrer vers le cloître du cimetière où une autre ivresse nous attend.
Dans un dispositif trifrontal, au plus près des danseuses, le public prend place sur des chaises ou des coussins à même l’herbe. Pour plateau, des tapis au sol, espace central dont les interprètes franchissent les frontières avec une jouissance communicative, s’explosant comme des atomes en fusion aux quatre coins du cloître pour mieux être aspirées à nouveau vers le centre. D’une organicité rare, Lady Magma flirte avec la performance autant qu’avec la danse, les deux se rejoignant dans les multiples états extrêmes traversés par des danseuses généreuses et survoltées qui se donnent à corps et à cri dans une représentation toute en porosité, vibrante et férocement vivante.
Dans des nuisettes courtes et décolletées, la peau se découvre, surface tactile parcourue de variations de couleurs, de sueur, de sensations ; la peau des corps et des visages, claire, rougeoyante, mise en tension ou détendue, tissu qui nous lie au monde et aux autres. Sur une musique lancinante zébrée de guitares électriques saturées, les danseuses se déplient, se délient, se touchent, s’empoignent même, tantôt forment un grand corps souple et bestial, tantôt s’individualisent en des solos révélant la gestuelle singulière de chacune, leur énergie unique. Cheveux détachés que le vent fait valser, pieds nus, elles exultent et dansent jusqu’à la transe, tribales et sauvages, ancrées dans la terre et reliées entre elles dans une complicité transparente.
Ce ne sont pas des femmes éthérées et domestiquées qui s’élancent sous nos yeux, mais bien des « femmes qui courent avec les loups », des femmes reliées, entre elles, aux racines et au ciel, à elles-mêmes. C’est un lâcher de fauves, une constellation de personnalités fortes, un enchevêtrement de douceur et de fureur mêlées qui s’achève par un chant, d’abord presque intérieur, fredonné à mi-chemin entre le dedans et le dehors, puis qui s’extériorise peu à peu, meut en cri guttural venu du ventre, jusqu’à se projeter jusqu’à nous, jusqu’aux étoiles. Et le public de chanter avec elles, à l’unisson de cette expérience sismique traversée ensemble. Comme une contagion entre les artistes et nous. Scène et salle abolies. Quand le spectacle s’achève, la nuit est tombée et la lune, grosse et ronde, semble plus lumineuse et bienveillante que jamais.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Lady Magma
Chorégraphie, texte et scénographie Oona Doherty
Avec Olivia Ancona, Aoife MacAtamney, Stephanie McMann, Keren Rosenberg, Louise Tanoto, Solene Weinachter
Musique David Holmes
Lumière Lisa Marie BarryProduction déléguée OD Works
Coproduction Atelier de Paris Centre de développement chorégraphique national, Espaces Pluriels scène conventionnée danse (Pau), Maison de la Danse (Lyon), Pôle-Sud Centre de développement chorégraphique national (Strasbourg), Le Pacifique Centre de développement chorégraphique national (Grenoble), L’Avant-Scène (Cognac), Belfast International Arts Festival
Avec le soutien du British Council
Co-accueil Festival d’Avignon, La Chartreuse-CNES de Villeneuve lez Avignon
En partenariat avec France Médias MondeDurée : 50 minutes
Festival d’Avignon 2022
Chartreuse de Villeneuve lez Avignon / Les représentations ont lieu au Cloître du Cimetière
du 9 au 17 juillet, à 21h30
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