Au Théâtre des Déchargeurs, dans le spectacle Le Tourneseul, Eric de Dadelsen s’empare de textes de Marc Favreau, aussi connu sous le nom de Sol, le clown joueur de mots, décédé en 2005. En France, on est fasciné par son écriture et on joue régulièrement ses textes. Mais qu’en est-il de la portée politique de son écriture ?
Marc Favreau est québécois, il a officié sur les ondes franco-canadiennes pendant la « Révolution tranquille », dans les années 60 et 70. Dans la Belle Province, tous les gens de cette génération s’en souviennent. En France, on apprécie ses pirouettes de langage, son emploi unique des mots, ses jeux avec la langue toujours surprenants.
Cette liberté de parole est née dans un contexte où le Québec était en lutte pour défendre le français. Le joual – parler québécois – était alors critiqué par certains comme étant le reflet d’une dégradation de la langue. D’autres, parmi lesquels Michel Tremblay, en soulignent la force poétique et la grande liberté de création à laquelle il invite. Comme l’a souligné André Racette, « Sol apparaît au moment où la montée du nationalisme est parallèle à la valorisation d’une parole québécoise ». Ainsi, en créant, il devient l’un de ceux qui font exister une parole naissante. Parler, jouer avec les mots est, pour Sol, un acte de soutien politique.
Afin que son message soit encore mieux compris, Sol joue les gauches, les incompétents. C’est dans ses gestes qu’apparaissent les maladresses supposées de la langue car, dans le texte, celle-ci est parfaite, si tant est que l’on accepte les néologismes et la poésie. Sol est un inculte, son personnage ne tire aucune satisfaction de l’emploi incroyable qu’il fait de la langue. Et pourtant, virtuose, il l’est !
Marc Favreau est un élément capital dans le développement de la culture québécoise du XXe siècle. L’émancipation politique, soutenue et accompagnée par l’émancipation du langage – ce que Lise Gauvin appelle langagement –, a conduit à l’existence de Sol et, lorsqu’on rit et qu’on observe ce personnage naïf et touchant, il fait bon de se rappeler qu’il est le produit d’une lutte sans merci qu’un peuple a livré pour pouvoir conserver sa culture.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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