Nouveau spectacle du collectif Denisyak, créé au Théâtre national de Bordeaux Aquitaine, Scelŭs [Rendre beau] explore les secrets d’une famille, sans donner suffisamment d’épaisseur à l’horreur.
S’il fallait désigner le fil rouge du travail développé depuis ses débuts par le collectif Denisyak, l’on pourrait hésiter longuement entre les deux éléments suivants : l’intérêt pour les faits divers et le goût affirmé pour une monstruosité qui se déploierait dans le cercle intime. Car qu’il s’agisse de SStockholm, premier spectacle de la compagnie (créé en mars 2014) puisant ses racines dans l’affaire Natascha Kampusch – jeune autrichienne séquestrée pendant huit ans par son ravisseur – ; de Sandre, conçu en décembre de la même année, et écrit par Solenn Denis sous l’influence des cas de Véronique Courjault et Dominique Cottrez (deux femmes responsables d’infanticide) ; ou, enfin du dernier spectacle en date Scelŭs [Rendre beau], les névroses et horreurs familiales sont au cœur des préoccupations de l’équipe.
Scelŭs part d’un fait marquant de la vie de Jack Nicholson : en 1974, l’acteur américain – alors âgé de trente-sept ans – découvre par l’entremise d’un journaliste que celle qu’il croit être sa mère est en réalité sa grand-mère, sa véritable mère étant celle dont on lui a toujours dit qu’elle était sa sœur aînée, June. Évoquant une parentèle avec nombre de tragédies grecques, ce fait divers a nourri l’écriture de l’autrice Solenn Denis. Dans Scelŭs nous suivons Atoll, célibataire dépressif et désabusé. Vivant encore chez sa génitrice, Atoll vient de fêter avec celle-ci ses quarante ans. Incapable de mener à son terme son suicide, il voit débarquer sa sœur, qui a déserté depuis bien des années le domicile familial. Mais leur mère nie l’existence de ladite sœur, avant de rappeler à Atoll que Yéléna est morte vingt-cinq ans plus tôt. Refusant d’abord la vérité, Atoll s’y résout. D’autres révélations plus sordides les unes que les autres – mêlant notamment un clochard reclus dans une cabane de fortune – vont suivre et Atoll va progressivement abandonner son cynisme et recomposer son rapport à sa famille. Au fil de la pièce, ce sont toutes les significations du terme latin Scelŭs qui se déploient : calamité ou malheur irréparable (selon Plaute), attentat, crime ou forfait (selon Cicéron), action malfaisante ou méfait (selon Pline).
Avec sa quasi obscurité, son sol de gravillons noirs s’accrochant aux vêtements et à la peau des personnages, sa musique angoissante ou ses beats technos secs, ses espaces de jeu dessinés par le simple recours à des pendrillons (noirs eux aussi), Scelŭs affirme de manière lisible son tempérament sombre comme son goût pour le glauque. Le choix de Nicolas Gruppo pour incarner le coryphée, renvoie, lui, à la monstruosité revendiquée. Le corps difforme de cet enseignant, plasticien et performer est volontairement exhibé dès le début du spectacle. Portant un maillot de football désignant sa fonction, « coryphée », le comédien rampe jusqu’à son espace, petite estrade située à l’avant-scène côté jardin. Ce choix de déplacement vise à susciter le malaise – par la suite il se déplacera à genoux, avant même de revenir à la fin du spectacle muni de ses prothèses de jambes – et à nous plonger dans un univers étrange, de Freaks, bien loin de toute normalité.
Cette recherche volontariste et appuyée du monstrueux, comme ce souci d’explorer les sentiments de fascination et de répulsion, se prolonge dans le travail de la langue. Balançant sans cesse entre le lyrisme et le trivial, voire, le graveleux, l’écriture de Solenn Denis travaille les contrastes. Ces frictions entre les registres de langue accentuent le caractère dissonant et trouble du récit, parfois jusqu’au grotesque. Mais si ce grotesque est en partie assumé, l’insistance de tous les artifices scéniques, comme l’atmosphère mortifère pesante, écrasent l’ensemble. À être trop univoque, le spectacle manque diablement d’ambiguïté, et la langue elle-même se révèle dans ses effets de contraste caricaturale. Plutôt que de susciter le malaise, Scelŭs en devient assez convenu, et bien peu trash, car par trop lisible. Reste la découverte d’une belle équipe de comédiens, parmi lesquels Julie Teuf révèle tout son talent. Interprétant Yéléna, l’actrice compose un personnage balançant entre frivolité et profondeur, et parvient à arracher la langue à ses recherches d’effets pour lui donner toute sa puissance.
Scelŭs
[Rendre beau]
Texte Solenn Denis
Mise en scène Le Denisyak
Création du 9 au 19 octobre, au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
Avec
Julie Teuf, Philippe Bérodot, Erwan Daouphars et Nicolas Gruppo
Scénographes Eric Charbeau et Philippe Casaban / Création lumière Yannick Anché et
Fabrice Barbotin / Stagiaire lumière Alexiane Trapp / Son Julien Lafosse /
Assistante à la mise en scène Clémentine Couic / Chorégraphe Aurélie Mouilhade /
Costumes Kam Derbali / Décor Équipe technique du TnBALe texte est publié chez Lansman
Production Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine TnBA, Le Denisyak
Coproduction Théâtre des Îlets – CDN de Montluçon, La Passerelle – scène nationale de Saint-Brieuc, Centre de Production des Paroles
Contemporaines – Théâtre l’Aire Libre, OARA – Offi ce artistique de la région Nouvelle-Aquitaine
Avec le soutien fi nancier du ministère de la Culture – DRAC Nouvelle-Aquitaine, de la Ville de Bordeaux, du Fonds SACD Théâtre et de la SPEDIDAM
Avec l’aide à l’écriture du CNL – Centre National du Livre
Remerciements au Glob Théâtre – Bordeaux et au CENTQUATRE – Paris
En partenariat avec le FAB – Festival International des Arts de Bordeaux MétropoleDurée 1h45
Tournée : 17, 18 décembre 2019, La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc
25 et 26 mars 2020, Théâtre des Îlets, CDN de Montluçon
Avril 2020, Festival Mythos, Rennes
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