Sans recourir au moindre exotisme, Guy Cassiers transpose les Indes fantasmées par Henry Purcell sur un territoire dévasté par les conflits entre les peuples dans une production aux fortes dimensions politiques et humaines.
Décidément la découverte du Nouveau-Monde inspire ce début de saison lyrique. Après Les Indes galantes de Rameau revues par Clément Cogitore dans version nocturne et urbaine sur le plateau de l’Opéra Bastille, voici l’Indian Queen de Purcell à l’Opéra de Lille, une œuvre rare et même encore jamais donnée dans son intégralité. L’ouvrage a pour particularité d’être un « semi-opéra », un genre spécifiquement en vogue dans l’Angleterre de la fin du 17e siècle et qui voisine avec la comédie-ballet française dans la mesure où il fait alterner chant lyrique et scènes dramatiques. Tout compte fait, la pièce est assez peu musicale. Non parce que la mort de son signataire laissa interrompue la composition mais simplement parce que, par convention, les airs y sont rares. Quelques passages musicaux signés de Purcell mais aussi de deux de ses contemporains, John Blow (Venus and Adonis) et Matthew Locke (The Tempest) ont bien été ajoutés par l’équipe artistique actuelle qui réalise ainsi un montage tout à fait inédit, mais ce sont bien les parties parlées qui dominent largement les trois heures de spectacle.
La distribution réunit au plateau une jeune et excellente troupe de chanteurs soutenue par Emmanuelle Haïm qui exalte en fosse la beauté généreuse d’une partition dont elle fait entendre avec un formidable dynamisme le triomphalisme exacerbé et la douceur plaintive. Elle compte aussi huit comédiens livrant une performance magistrale. Le chant offre bien sûr des moments de pur ravissement, le théâtre, souvent minoré sur les scènes lyriques, est ici véritablement incarné et ne laisse place à aucune approximation. Loin des élans héroïques attendus, le jeu ne supporte la moindre boursouflure et se veut tout à fait rentré, intériorisé. Le souffle et la modulation vocale jusqu’au murmure des comédiens sont une musique en soi, pleine de nuances et de variations.
A cela, s’ajoute l’habituelle maîtrise formelle de Guy Cassiers. Sur un plateau nu et faiblement éclairé, cinq écrans mobiles, de format divers, suspendus à des rampes, diffusent un film où défilent de manière superbement picturale, fragmentée ou démultipliée, les situations épiques du drame montré dans une esthétique qui n’est pas sans rappeler certaines séries à succès. A la rampe, les mêmes acteurs, cette fois dépouillés de leurs oripeaux vaguement historisants, rejouent simultanément l’intrigue avec une sobriété contrapuntique qui privilégie l’intimité et l’émotion. La présence réelle des interprètes dialogue avec l’image préenregistrée. C’est une manière de rendre lisibles les intrigues politiques et passionnelles qui émaillent le livret.
Sur fond de guerre entre les Incas du Pérou et les Mexicains, James MacGregor en présomptueux guerrier et Matthew Romain en Prince amoureux et ombragé sont deux fortes présence tant sur scène qu’à l’écran. Ils se livrent à une paradoxale rivalité d’une belle justesse. Entre eux, la maléfique et vulnérable Zempoalla admirablement interprétée par Julie Legrand est la reine des Indes qui donne son titre à la pièce.
Les images scéniques reflètent une lecture délibérément critique du livret. Pas de nature généreuse et proliférante mais un paysage lugubre et fantomatique : des nuages charbonneux et menaçants, des murs lézardés, une ville grisâtre et dévastée. Ces images de délabrement ont été dernièrement captées sur le vif par le reporter de guerre Narciso Contreras. Tandis que le prologue chante avec optimisme le contexte colonial dans lequel il s’inscrit, Cassiers dénonce les ravages destructeurs des conflits liés aux conquêtes et confère à son propos humanisme et universalité.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
The Indian Queen
Semi-opéra de Henry Purcell (1659–1695) créé en 1695 sur un livret d’après
John Dryden et Robert HowardDirection musicale Emmanuelle Haïm
Mise en scène Guy Cassiers
Décors Tim Van Steenbergen
Costumes Tim Van Steenbergen et Mieke Van Buggenhout
Lumières Fabiana Piccioli
Vidéo Frederik Jassogne
Photos Narciso Contreras
Dramaturgie Erwin Jans
Assistant à la direction musical James Halliday
Chef de chant Benoît Hartoin
Assistant à la mise en scène Benoît De Leersnyder
Assistant à la mise en scène Benoît De Leersnyder
Assistant vidéo Bram DelafonteyneAvec
Zoë Brookshaw soprano
Anna Dennis soprano
Rowan Pierce soprano
Carine Tinney soprano
Ruairi Bowen ténor
Hugo Hymas ténor
Nick Pritchard ténor
Gareth Brynmor John baryton
Tristan Hambleton baryton-basseChristopher Ettridge L’Inca
Elisabeth Hopper Orazia
Gareth Brynmor John Ismeron
Julie Legrand Zempoalla
James McGregor Montezuma
Ben Porter Traxalla
Matthew Romain Acacis
Anna Dennis Amexia (scène)
Katy Brittain Amexia (film)Le Concert d’Astrée, chœur et orchestre
Nouvelle production de l’Opéra de Lille Coproduction Théâtre de Caen, Opera Vlaanderen Anvers-Gand, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Avec le soutien du Crédit du Nord, mécène associé à la saison et le parrainage de la Caisse d’Épargne Hauts de France
Durée : 3h10
Opéra de Lille
Octobre 2019 : sa 5 (18h), ma 8 (19h30), me 9 (19h30), ve 11 (19h30), sa 12 (18h)
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !