« Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver.
On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend. Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est ensuite obligé de manger froid jusqu’à la
fin de ses jours. »
Voilà plusieurs années que je lis ce texte en public. Lecture après lecture j’affine le montage…cruel que d’avoir à amputer un texte qui me tire une émotion presque à chaque page !
En rencontrant les mots de Gary, ses autres romans, les interviews qu’il a données, j’ai le sentiment assez ridicule d’être devenu un proche, tant je me retrouve dans ce qu’il dit, ce qu’il écrit, ce qu’il est aussi et ce cache – cache auquel il s’est livré toute sa vie. Gary et tous ses Pseudos, c’est nous tous dans notre complexité, notre fragilité, nos faiblesses et tout ce qu’il y a de splendide chez l’Homme aussi.
« J’ai toujours eu l’impression d’être celui-là » se dit-on quand on finit un de ses romans !
Roman Kacew, fils, fierté et revanche de Nina, sa mère. L’enfant qui ne l’a presque jamais quitté lui a donné une audace et une foi formidables.
Héros grâce à elle, et malgré elle. Jamais peut être le terme d’héroïsme n’a pris plus de sens. Il aurait dû mourir 5 fois, 10 fois. Mais il était convaincu que sa mère le protégeait de tout.
Il lui doit évidemment beaucoup.
Il « apprend » la France par les récits fantastiques qu’elle lui en fait et déchante un peu évidemment quand il arrive à Nice à l’âge de 14 ans ; mais il dit « c’était trop tard, j’étais né ! »
Peu d’auteurs ont donné dans leurs écrits, l’impression d’aimer leur pays aussi fort, avec exaltation mais sans hystérie, avec une passion qui ne trahit jamais la raison et l’intelligence.
Ce que j’aime c’est son incroyable modernité. Son regard sur l’avenir du monde est étonnamment visionnaire.
Il est un des premiers par exemple à utiliser le mot « écologie » dans Les Racines du ciel, un des premiers à dénoncer les errances étriquées du nationalisme et à penser la place politique du féminin dans la société.
Sa quête profondément douloureuse qui l’a toujours conduit à ne jamais se satisfaire de ce qu’il était, à rire de lui avant de rire du monde, l’a amené à se projeter vers les autres pour mieux s’abandonner. Il a toujours cherché à se « désappartenir », à échapper à lui-même. Se désappartenir pour éviter de souffrir à cause des promesses que ne tient jamais la vie : je me retrouve dans ce désir-là, et c’est pour cela que j’ai choisi la forme de la lecture, la plus simple et la plus modeste possible, pour faire entendre l’évidence de la voix de Romain Gary.
Stéphane FREISS (Propos recueillis).
Poche Montparnasse
A partir du 20 octobre 2020 – Du mardi au samedi 19h- REPRISE
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