L’artiste reprend son premier texte une fois par semaine à La Scala Paris et raconte son combat contre un cancer des testicules alors qu’il n’avait que 22 ans. Un seul en scène drôle et émouvant qui navigue entre stand-up et théâtralité plus traditionnelle, et marque les débuts d’un style bien à lui.
Gros rap à voix auto-tune en fond sonore, Théo Askolovitch a l’outfit travaillé : jog et t-shirt noirs, baskets blanches, et le petit rappel de couleur qui sigle le haut. Crâne rasé, barbe taillée, il attend tranquillement le public de la petite salle de La Scala Paris assis sur sa chaise métallique ; puis, il démarre, démarche et phrasé, et lance son spectacle en mode stand-up. Langue des quartiers, mais pas appuyée plus que cela, qu’il croise avec un travail d’écriture qu’on entend précis, une syntaxe qui peut allonger des phrases et des mots d’un registre qui détonne. Fils de journaliste connu, Théo n’est pas un enfant de la cité, mais il est imprégné d’une culture qui a dépassé les barrières géographiques et sociales depuis un bon bout de temps maintenant. Rap, foot, bédave, burger et Playstation. Il y a un an, on découvrait Zoé (et maintenant les vivants), un récit émouvant sur la mort de sa mère et ses conséquences sur lui, sa sœur et son père. 66 jours est la reprise d’un spectacle plus ancien, son premier texte. Théo Askolovitch y raconte le cancer des testicules qu’il a découvert et soigné en pleine Coupe du Monde de football 2018, à 22 ans. Pas drôle ? Et bien si, pourtant.
Tout commence en réalité dans le noir, avec des enregistrements de voix de joueurs à l’orée de la compétition. On reconnaît en premier l’inimitable accent de Didier Deschamps, le sélectionneur. Le ton est donné. Le plus grand sérieux de ces propos de sportifs, souvent un peu convenus et sans beaucoup de relief, faisant fi qu’il ne s’agit que de sport, fait toujours un peu rire. La métaphore est lancée, qui structurera le spectacle : c’est aussi son défi à lui qui s’avance avec la Coupe du Monde, la victoire que Théo Askolovitch va devoir remporter sur le crabe. À la chronologie d’une compétition, 66 jours superpose celle du combat contre la maladie. De sa découverte à sa rémission, du premier tour à la victoire finale sur laquelle le spectacle s’achèvera.
On le sait puisqu’il est là, bien vivant, devant nous, qu’il a survécu, Théo. Et comme la veine autobiographique irrigue son travail… Au-delà de son parcours personnel, il raconte, comme dans Zoé, une famille marquée par la mort précoce de la mère et un amour resserré qui lie les rescapés du malheur. Sans verser uniquement dans l’intime, avec toujours quelque chose d’universel dans ce qu’il exprime – situations, sentiments, réflexions –, Théo Askolovitch évoque régulièrement son père et sa sœur entre les passages obligés de la maladie : les premières douleurs, le diagnostic, l’opération, les chimios, les effets secondaires, les complications, la rémission… Le tout dans le désordre, en alternant humour et émotion, les récits de dons de sperme et de dégueulis croisant des déclarations d’amour et d’admiration au paternel. Dans ces moments-là, il se fait petit garçon, regard brillant d’émotion, enfant perdu, orphelin à jamais sous son allure de jeune homme un peu caillera, mais l’émotion, sincère, ne parvient pas toujours à toucher. Moins fort que les rires que déclenchent ses récits qui jouent avec les limites, de ce qui peut se dire, se raconter, et qu’il mène avec pas mal de finesse, un brin de mauvaise foi et beaucoup d’autodérision.
Avec trois interprètes et un récit davantage éclaté et mis en scène, Zoé (et maintenant les vivants) déployait sans doute davantage de variété que ce 66 jours qui patine par moments. Y bruissent cependant déjà cette langue mélangée que Théo Askolovitch porte au plateau, emmenant sur d’autres territoires la culture d’une génération qui peine encore à s’y imposer, et, bien sûr, ces obsessions dont on ne doute pas une seule seconde qu’elles habiteront sans cesse son travail : la perte d’une mère et la réparation par laquelle lui et sa famille se réinventent. 66 jours constituait une promesse que Zoé a confirmée. Théo Askolovitch réalise en ce moment son premier film d’après sa biographie qui figure sur le site de La Scala. On attend avec impatience la prochaine étape du déploiement de son style, si séduisant et si particulier.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
66 jours
Texte et mise en scène Théo Askolovitch
Avec Théo Askolovitch
Collaboration artistique François Rollin, Ludmilla Dabo
Créateur lumières Nicolas BordesProduction Ki m’aime me suive
Avec le soutien de Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines, Comédie de Caen – CDN de Normandie, Théâtre La Flèche, Théâtre de SuresnesDurée : 1h10
La Scala Paris
du 10 octobre au 26 décembre 2024
les jeudis, à 19h
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