Au Théâtre de la Colline, le metteur en scène catalan Oriol Broggi ne parvient pas à s’inscrire dans les pas de Fellini et s’adonne à un empilement de citations et de références pour le moins chaotique.
Rarement aura-t-on vu épilogue aussi représentatif de l’échec d’un spectacle qui, deux heures et quinze minutes durant, n’aura eu de cesse de tourner autour de l’objet dont il désirait ardemment s’emparer sans réellement en trouver la clef. Pour clore son 28 i mig, recréé sur le plateau du Théâtre de la Colline, Oriol Broggi diffuse un extrait du final de 8 ½ de Federico Fellini sur les épaules duquel il entendait se jucher. Immédiatement, la magie opère, celle de la musique emblématique de Nino Rota, bien sûr, mais aussi des images du maître italien, irriguées par une étrangeté mélancolique toute particulière. Avec la cruauté d’une balle dans le pied inconsciente, 28 i mig prête alors le flanc à la comparaison directe avec son aîné cinématographique, et la farandole exécutée par la troupe de La Perla 29 s’impose à l’avenant du reste, comme une pâle copie de celle orchestrée par Fellini lui-même. L’aveu est, au corps défendant du metteur en scène catalan, cinglant : contrairement à Daria Deflorian et Antonio Tagliarini qui, il y a quelques mois, au Théâtre de l’Odéon, avaient su s’inspirer de Ginger & Fred pour composer un bouleversant triple pas de deux sur eux-mêmes, le réalisateur italien lui a bel et bien résisté.
Sur le papier, le projet d’Oriol Broggi promettait pourtant d’accoucher d’un « feel good » spectacle singulier, une célébration de la vie et de l’art qui, malgré ses airs un peu naïfs pourront arguer les sceptiques, entendait répondre, avec l’aide de Fellini, à une éternelle question : quel chemin emprunter pour être heureux ? Sauf qu’au lieu de tracer son propre sillon, le metteur en scène catalan s’est contenté de mettre bout à bout les fragments de ceux des autres, de Dante (La Divine Comédie) et d’Epicure (Epicurea), de Goethe (Faust) et de Tchekhov (Oncle Vania), de Shakespeare (Hamlet) et de Bergman (Fanny et Alexandre), en passant par Luigi Pirandello (Six personnages en quête d’auteur), Thomas Mann (Tonio Kröger) et même Wajdi Mouawad (Littoral et Journal de confinement). Loin de former un tout cohérent, et intelligible, sa composition dramaturgique saute à pieds joints dans l’écueil de l’empilement de références et de citations qui, au lieu de donner à entendre un propos percutant, se borne à un agglomérat cuistre et chaotique. Comme si, en définitive, ce 28 i mig naviguait à vue, comme si le processus d’écriture de plateau qui le sous-tend générait automatiquement des éléments bons à prendre sans s’interroger sur leur nécessité. De sorte que, à cet enchevêtrement bavard, il parait possible d’ajouter ou de retrancher quasiment n’importe quel fragment textuel, devenu non essentiel.
Surtout, malgré l’âme sensible dont il est doté, 28 i mig semble vouloir cocher toutes les cases du bingo métathéâtral qui, s’ils ne bénéficient pas d’une puissance intellectuelle suffisante, à la manière de Pirandello, se borne à enfiler des poncifs qui n’intéressent qu’une poignée d’individus. Tandis que la proposition, par le mélange des genres scéniques qu’elle cultive, jusqu’à l’excès, à mi-chemin entre le théâtre forain, l’arte povera de façade, l’ambiance circassienne et le plateau de tournage, se veut formellement généreuse, et accessible, elle ne parvient jamais, en dépit de l’engagement sincère des comédiennes, comédiens et musiciens de La Perla 29, à franchir le quatrième mur que le texte tend, brique par brique, citation après citation, référence après référence, à bâtir. Alors, la troupe en vient à donner l’impression d’agir comme dans une boîte scénique étanche : on la regarde, depuis l’extérieur, s’adonner à cette fête égocentrée, sans jamais se sentir ni clairement invité, ni franchement concerné.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
28 i mig [28 ½]
Conception, mise en scène et scénographie Oriol Broggi
Adaptation Jeroni Rubió et Oriol Broggi
Avec Laura Aubert Blanch, Guillem Balart, Xavier Boada, Màrcia Cisteró, Enrico Ianniello, Blai Juanet Sanagustin, Clara Segura Crespo, Montse Vellvehí et Joan Garriga, Marià Roch, Marc Serra
Lumières Pep Barcons
Costumes Berta Riera
Son Damien Bazin
Vidéo Francesc Isern
Musique originale Joan Garriga
Maquillage et coiffure Àngels Salinas
Assistanat à la mise en scène Rita Molina i Vallicrosa
Confection des costumes Elisabet Meoz
Technicien micros Roger Blasco
Répétiteur chants Pablo Puche
Dressage Equi-Event / Josep Maria Segú
Traduction et régie des surtitres Alba Pagán
Montage des surtitres Ester NadalProduction Compagnie La Perla 29 – Barcelone
La Perla 29 reçoit le soutien du ministère de la Culture espagnol, du département culturel de la région de Catalogne et de l’Institut Ramon Llull.
Durée : 2h15
La Colline – théâtre national, Paris
du 16 mars au 10 avril 2022
C’est le plus mauvais aspect de la critique théâtral de démolir, au nom de son petit pouvoir, un spectacle aussi riche, fruit d’un magnifique travail. Le « chacun son opinion » ne justifie pas un tel manque de pertinence. Oriel Broggi nous offre un très beau moment de théâtre avec des acteurs remarquables. 2h15 avec des amis talentueux et sensibles, c’est ce que j’ai ressenti à la fin du spectacle. Le thème de la recherche du bonheur par ou avec l’art est parfaitement traitée. L’empilement des textes et des images, c’est la loi du genre. Mais il y a un fil rouge et une cohérence, même s’ils ne sont pas apparus à notre critique, qui manque de sensibilité ou de culture (ou les deux !)
Tout à fait d’accord