La scénographie de « Un tramway » est impressionnante. Un long couloir en plexis s’étend de cour à jardin et avance de tout son long du fond de scène en avant scène. Le plateau de l’Odéon a été agrandi pour l’occasion, il empiète sur les trois premiers rangs de la salle. Warlikowski a repris l’idée de « Apollonia » : faire jouer les comédiens dans ce couloir mais il utilise aussi beaucoup l’avant scène, ce qui permet à Isabelle Huppert de rentrer littéralement en contact avec le public. Elle est saisissante tant l’on capte la douleur de son visage, ses angoisses, ses larmes.
Blanche Dubois est en fuite, elle se réfugie chez sa sœur Stella avant de sombrer définitivement dans la folie. La sœur de Stella est jouée par Florence Thomassin, révélation du spectacle. Habituée aux plateaux de cinéma, elle n’a beaucoup joué au théâtre, elle campe une Stella qui passe de la fragilité de la femme battue à la force de la mère de famille, une transformation physique impressionnante.
Le grand bonheur de ce spectacle en français de Warlikowski, c’est de pouvoir se délecter des images du metteur en scène sans se soucier de comprendre l’action de la pièce, et d’avoir les yeux rivés en permanence sur des sous titres. Cela n’a l’air de rien, mais cela ajoute au plaisir. Car on aime ou on n’aime pas les scénographies de Warlikowski, mais il en met plein la vue. C’est une installation d’art contemporain en mouvement de 2h30. Malheureusement et comme souvent il y a des scènes de trop, notamment tout le passage avant le départ de Blanche pour l’hôpital psychiatrique, où défile sur le mur de fond de scène un extrait de « La Jérusalem délivrée » du Tasse. C’est assez éprouvant surtout après 2h30 d’intensité dramatique.
Et puis il y a les performances de Renate Jett, chanteuse d’origine autrichienne qui a souvent travaillé avec Warlikowski (Purifiés, le Dibbouk…). Elle incarne Eunice et vient ponctuer le spectacle de chansons. Notamment le « Common People » de Jarvis Coker (du temps de son regretté groupe Pulp), et c’est envoutant. Elle l’interprète dans une version qui oscille entre l’univers de Leonard Cohen et de Marianne Faithfull. Elle est très touchante aussi sur « All by myself ».
Isabelle Huppert n’a eu aucun mal à se fondre dans cet univers si particulier de Warlikowski, c’est tout le talent de la comédienne. On dit souvent en regardant les mises en scènes des créateurs allemands ou polonais, que nos comédiens français n’ont pas la force de leurs voisins européens. Isabelle Huppert et Yann Collette (Mitch) viennent démontrer tout le contraire. L’on peut être héritier d’une tradition française et transcender son jeu.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Un Tramway nommé désir est en apparence une histoire comme beaucoup d’autres. Il y a un couple qui marche plus ou moins bien ; arrive une soeur/belle-soeur ruinée qu’ils n’ont pas vue depuis longtemps ; la vie s’arrête pour un instant puis prend une autre direction. Tout compte fait, il ne se passe presque rien. Mais Tennessee Williams n’était pas du genre à se contenter de récits réalistes ou de petites histoires moralisantes. Ses textes, ceux d’un outsider, d’un excentrique, d’un homosexuel déclaré, d’un être mal adapté à la société, nous mettent en présence de tragédies laïques, qui naissent à partir du quotidien avec ses rituels abracadabrants, à ne pas interrompre sous peine de catastrophe. Une tragédie ne peut d’ailleurs être que laïque, et tout ce qui se passe entre les gens se fait à leurs risques et périls exclusifs. Blanche DuBois, Stanley Kowalski et Stella DuBois (avec Mitch en supplément) forment un triangle de violence où bourreaux et victimes s’empêtrent dans leur lutte. Il n’y a pas de vainqueurs et il n’y en aura pas. L’histoire à laquelle nous assistons a commencé bien avant le texte de Williams et se terminera bien après le départ de Blanche pour l’hôpital psychiatrique. Blanche DuBois est un personnage de notre temps. Regardons-la attentivement, avant que nous ayons nousmêmes à compter sur la « bienveillance des étrangers ». Si elle se retrouve sur les Champs-Elysées, n’y a-t-il là que pure coïncidence ? Ces Champs sont le séjour réservé aux héros après leur mort, le meilleur domaine du royaume d’Hadès. On ne saurait y entrer par hasard. Dans Un Tramway…, la tension entre la mort et l’amour, entre le familier et l’étrange fait échouer tous les héros en marge de la vie. Emigrés, étrangers, touristes, nomades – dans notre « admirable nouveau monde », c’est sur une étoile tragique toute cette compagnie règle sa marche.
Piotr Gruszczyñski, dramaturge
texte français
Wajdi Mouawad
adaptation
Krzysztof Warlikowski, Piotr Gruszczynski et Wajdi Mouawad
dramaturgie
Piotr Gruszczynski
lumière
Felice Ross
décors & costumes
Malgorzata Szczesniak
musique
Pawel Mykietyn
vidéo
Denis Guéguin
avec
Isabelle Huppert Blanche DuBois
Andrzej Chyra Stanley Kowalski
Yann Collette Mitch
Renate Jett Eunice
Cristián Soto Un jeune homme
Florence Thomassin Stella
production Odéon-Théâtre de l’Europe, Nowy Teatr – Varsovie, Grand théâtre du Luxembourg, De Koninklijke
Schouwburg – Den Haag, Holland Festival – Amsterdam, Comédie de Genève, Emilia Romagna Teatro
Fondazione, Berliner Festpiele, MC2: Grenoble avec le soutien de l’Institut Polonais Paris
4 février – 3 avril 2010
Théâtre de l’Odéon – 6e
Place de l’Odéon – 6e
Métro : Odéon
RER B: Luxembourg
Bus : 63, 87, 86, 7O, 96, 58.
Parkings : rue Soufflot, Place St Sulpice, rue de l’Ecole de Médecine.
http://www.theatre-odeon.fr
je vous crois !
ah je vois que je ne suis pas seule à avoir appréciée la pièce! la critique n’a pas epargé warlokowski!merci!
D’accord avec vous à peu près sur tous les points. Le spectacle vaut bien mieux que ce que la presse en a dit (Libé excepté qui a fait une bonne critique).
il y a t il un DVD ou un cd qu’audio ??