Magnétique en scène, l’artiste flamande, encore plus pleine d’audace et de liberté que jamais, offre un pur concentré de son geste chorégraphique, accompagnée en scène par le jeune et sensationnel pianiste Pavel Kolesnikov.
De Bach, Anne Teresa de Keersmaeker a déjà chorégraphié nombre d’opus. Dernièrement, les Suites pour violoncelle et les Six Concertos brandebourgeois se présentaient comme l’exact pendant l’un de l’autre : d’un côté, une belle et grise austérité ; de l’autre, une effusion d’énergie rayonnante et euphorisante. Les Variations Goldberg semblent se positionner à la jonction des deux en progressant du crépuscule funèbre vers la lumière irradiante. Entre introspection et exaltation, la danseuse et chorégraphe s’amuse, s’abandonne, se met à nu sur la musique de Bach, un compositeur fétiche à qui elle donne sans hésiter une couleur pop et une franche modernité.
Dans une obscurité ténue, comme sous les feux des projecteurs, en robe noire transparente comme en mini-short doré et chemisier safrané, l’artiste, chevelure vif-argentée, superbe de beauté et de maturité, n’a besoin de se parer d’aucun artifice. Dans une forme intimiste et dépouillée, le geste chorégraphique est propulsé en avant. L’essence même de son mouvement saisit. A 60 ans, et au sommet de son art, l’adepte d’un formalisme soucieux de géométrie structurel donne presque l’impression de s’en libérer. Elle a par exemple effacé les lignes courbes ou les sèches diagonales qui tracent habituellement ses plateaux. Elle suit, arpente, ses circonvolutions infinies sans soutien visuel, mais avec une folle invention et une juste intuition comme seuls et sidérants moteurs à son élan spiralé. Pointant l’index vers des directions plurielles, elle multiplie les trajectoires et se place au croisement de traits fusants et étincelants. Elle revisite, réinterroge son propre vocabulaire, ses propres capacités, entre pleine puissance et belle fragilité.
Tantôt joueuse, tantôt rêveuse, diablement enjôleuse, Keersmaeker s’amuse à déployer une palette de gestes et d’idées qui traduisent toute la richesse et l’exigence de son exploration artistique, témoignent de l’extrême volubilité et de la pleine vitalité de l’interprète qu’elle est. Elle irradie de douceur lunaire, de force jouissive, d’urgence tragique. Bondissant, virevoltant, son corps épouse avec limpidité la versatilité de l’écriture contrapuntique de Bach qu’elle connaît et comprend intimement. A la maîtrise totale, viennent s’additionner autant de mélancolie poignante que de plaisir non dissimulé. Elle ose le débordement en jouant même par moment une certaine exubérance non dénuée de sensualité.
Faire corps avec l’univers musical éblouissant des Variations Goldberg, c’est ainsi rendre compte de sa géniale diversité. Chacun des motifs musicaux est finement exécuté par le jeune pianiste russe Pavel Kolesnikov. Comme Keersmaeker, le musicien cultive avec évidence l’anti-académisme et l’anti-démonstration. Il n’y a qu’a voir comment il est vêtu d’un simple short et d’un débardeur aux antipodes des conventions concertantes. Son piano est fiévreusement contrasté, aussi feutré que sonore, puissant et délicat, pleinement méditatif et soudainement explosif. Le musicien place littéralement l’auditeur dans une sorte d’apesanteur. L’audace et la virtuosité stylistiques ainsi que la somptueuse sensibilité des deux artistes réunis portent la musique et la danse vers une totale élévation.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Les Variations Goldberg, BWV 988
Chorégraphie et danse Anne Teresa de Keersmaeker
Piano Pavel Kolesnikov
Musique Johann Sebastian BachProduction Rosas
Coproduction Montpellier Danse 40 Bis, Wiener Festwochen, Concertgebouw (Brugge), De Munt / La Monnaie, Théâtre de la Ville (Paris), Internationaal Theater Amsterdam / Julidans, Sadler’s Wells (London)
Cette production est réalisée avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, en collaboration avec Casa Kafka Pictures Tax Shelter empowered by Belfius.
Rosas bénéficie du soutien de la Communauté Flamande et de la Fondation BNP Paribas.Durée : 2 heures
MC93
du 6 au 9 avril 2023
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