Accueillis à Angers à l’initiative de l’EPCC Anjou Théâtre, onze artistes ukrainiens préparent ensemble un spectacle de cirque, zirka !, dont les premières auront lieu du 1er au 5 juin. Montée en quelques semaines, grâce à la remarquable mobilisation de l’équipe du lieu et de nombreuses tutelles, cette création est le fruit d’une aventure humaine, d’une lutte collective pour la paix.
Sous le chapiteau installé depuis quelques semaines à Terra Botanica, le parc du végétal à Angers, l’effervescence est celle des dernières répétitions d’une création qui va voir le jour dans quelques heures, le 1er juin. L’urgence est d’autant plus grande que les dix artistes que l’on voit s’entraîner sur la piste n’ont commencé à travailler ensemble qu’il y a trois semaines. Pour l’heure, chacun vaque à son numéro. Iryna Sorokolietova jongle avec un chapeau, une balle et une canne, Anastasia Rybchinska s’apprête à rejoindre son anneau aérien, tandis que Vyacheslav Iroshnikov traverse la piste avec sa roue Cyr, contournant Alexandra Kucher et ses massues, Alexandra Savina et son cerceau au sol, Serhii Koblykov en train de jongler avec bouteille et massue, Bob Gvozdetsky en plein équilibre et Anastasia Mazur en grand écart. En hauteur, Denys Kucher est aux sangles aériennes et Tamila Perevaruha au trapèze fixe. Tous d’origine ukrainienne, arrivés à Angers entre avril et mai, ces artistes ont répondu à l’appel lancé par l’EPCC – établissement public de coopération culturelle – Anjou Théâtre, dirigé par Frédéric Couturier, également directeur du service Culture et Patrimoine du Département du Maine-et-Loire.
C’est par l’intermédiaire du jongleur ukrainien Alexander Koblykov, installé à Angers depuis plusieurs années, que tous ont eu vent de l’initiative. Chargé par Anjou Théâtre de rassembler avec sa compagne circassienne Charlotte de la Bretèque, celui-ci a mis du cœur à l’ouvrage. « J’ai d’abord vu dans ce projet la possibilité de sortir des artistes ukrainiens de situations extrêmement difficiles. Ceux qui étaient en Ukraine étaient directement menacés par la guerre, et ceux qui étaient en tournée à l’étranger au moment où elle a éclaté ne pouvaient pas rentrer chez eux », nous expose-t-il aux abords du chapiteau. Sa tâche ne s’arrête pas au recrutement des onze artistes du spectacle qui s’intitule zirka ! – « étoile » en ukrainien : Alexander est resté pour assurer la traduction avec une interprète employée pour l’occasion, et pour veiller à ce que tout aille au mieux pour les nouveaux arrivants, venus pour certains avec leur famille.
Des « étoiles » pour rappeler la nuit
Près du chapiteau, des petites filles courent tandis qu’à l’ombre d’un camion emprunté à la compagnie L’Envolée Cirque, une grand-mère discute avec un artiste. Plusieurs artistes de zirka ! sont venus en France avec leur famille, logées avec eux à l’hôtel par le Département, en attendant de leur trouver des domiciles pérennes. Au total, c’est pas moins de 22 Ukrainiens que cette aventure de cirque solidaire a fait venir à Angers. « Nous voulons permettre à ces personnes non seulement de retrouver maintenant une vie plus stable et une activité, mais aussi leur donner les moyens de s’installer sur la durée s’ils en ont besoin et s’ils le souhaitent », exprime Frédéric Couturier, très vite rejoint dans son effort par d’autres tutelles. La Région Pays de la Loire, les Départements de Vendée et des Deux Sèvres se sont en effet déjà portés coproducteurs du spectacle zirka !.
Si Frédéric Couturier a ainsi mobilisé toute son équipe déjà très prise par le festival d’Anjou qui commence le 6 juin, s’il l’a enrichie de personnes supplémentaires, c’est aussi pour porter un message : « Il ne faut pas que l’on s’habitue à cette guerre qui se déroule à nos portes. Avec ce projet humain et artistique, j’ai voulu contribuer à rappeler que c’est un luxe de vivre en paix, et que ce luxe est sans cesse menacé ». Sans un mot ou presque, par le corps, les onze artistes de zirka ! expriment en effet « de quelle manière la guerre nous touche, ce que ressent une personne qui a perdu sa maison, son pays », nous dit l’équilibriste Bob Gvozdetsky dont le contrat de travail en tant qu’acrobate sur un bateau de croisière venait de se terminer lorsque la guerre a commencé. Pour lui, zirka ! est « une chance de partager cette histoire autrement que par la télévision. En mettant en contact des personnes qui n’ont pas vécu la guerre avec d’autres qui viennent de la traverser et continuent d’être touchés par elle, le spectacle nous rappelle à tous que nous sommes tous connectés, que ce qui se passe en Ukraine concerne la France, et inversement ».
La rencontre de deux cirques
Zirka ! est aussi l’occasion de découvrir un cirque que l’on connaît peu en France, ou que l’on ne connaît plus. Tous issus de l’école du cirque de Kiev (Kyiv Municipal Academy of Circus and Performing Arts), la principale formation d’Ukraine aux arts du cirque, réputée à l’international, les dix circassiens de zirka ! – Alexander Koblykov a aussi fait venir une plasticienne, Victoriia Biletska, dont les dessins de sable réalisés en direct et projetés sur un écran ouvrent et ferment le spectacle – sont d’une excellence technique souvent récompensée par des prix. Clown et acrobate spécialisé dans la roue Cyr, Vyacheslav Iroshnikov a par exemple remporté la médaille d’or au Festival mondial du Cirque de Demain et le Clown d’argent au Festival international de cirque de Monte-Carlo. La contorsionniste Anastasia Mazur a eu le Prix spécial du Jury au Festival Mondial du Cirque de Demain, elle a participé au Plus Grand Cabaret du Monde…
Pour la plupart, c’est en revanche la première fois qu’ils travaillent vraiment en groupe, sous la direction de deux metteurs en scène : Gérard Fasoli, ancien directeur du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne, et Christophe Huysman. « La culture circassienne ukrainienne est très différente de celle que je découvre ici en France. Formés à la réalisation d’un numéro que nous travaillons ensuite pendant des années, et avec lequel nous nous produisons à l’international dans des cirques ou des cabarets, nous n’avons pas l’habitude de créer à plusieurs », explique Anastasia Mazur, qui a travaillé en Allemagne, aux États-Unis, en Angleterre ou encore en Italie. Elle voit cette expérience comme « une possibilité magnifique d’expérimenter une autre manière de faire du cirque ».
La piste aux Phénix
Pour exprimer ce qu’ils souhaitent, certains artistes de la distribution prennent de la distance par rapport à leur numéro. C’est le cas de Bob Gvozdetsky, qui en se produisant dans les cirques Probst en Allemagne, Barones en Belgique ou encore dans les cirques nationaux de Biélorussie et de Moldavie a déjà rencontré d’autres formes et pratiques de cirque. « Pour zirka !, j’ai imaginé un numéro avec des parpaings, qui est une métaphore de la vie et de la mort. Je construis et déconstruis, tel un Phénix qui à partir des débris de son ancienne existence s’en crée une nouvelle ». D’autres artistes ont préféré garder tel quel leur numéro, estimant que c’est par lui qu’ils peuvent dire le mieux ce qu’ils ont perdu, et qu’ils espèrent retrouver. Chargé de créer une unité entre tous ces artistes habitués à travailler seuls, Gérard Fasoli a cherché à « trouver des compromis, permettant à chacun de s’exprimer tout en faisant exister le groupe ».
« Pour moi qui ai défendu le développement de l’écriture globale, il a été troublant et passionnant de me mettre au service d’une logique de numéros. J’ai retrouvé un fonctionnement proche des cirques traditionnels de mes débuts », dit le metteur en piste. Dans cette manière d’appréhender le cirque, celui-ci est beaucoup qu’une discipline artistique, dont la finalité est la représentation devant public : c’est un mode de vie, qui concerne non seulement les artistes mais aussi leur famille. « L’enfant d’une des artistes, traumatisé par la guerre, ne laissait au début pas sa mère répéter si lui-même ne pouvait être sur la piste », illustre Gérard Fasoli. L’équipe d’Anjou Théâtre ayant réussi en un rien de temps à leur monter une tournée, nous aurons l’occasion de découvrir cet été ces artistes qui ont le cirque dans le sang.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
zirka !
Avec : Iryna Sorokolietova, Anastasia Rybchinska, Vyacheslav Iroshnikov, Anastasia Mazur Alexandra Kucher, Alexandra Savina, Serhii Koblykov, Bob Gvozdetsky, Denys Kucher, Tamila Perevaruha
Mise en scène : Gérard Fasoli
Ecriture : Christophe Huysman
Production : EPCC Anjou Théâtre, avec le soutien du Département du Maine-et-Loire
Du 1er au 5 juin 2022 à Terra Botanica
Rte d’Épinard, 49000 Angers
Mercredi 1er juin : 17h00
Jeudi 2 juin : 20h30
Vendredi 3 juin : 20h30
Samedi 4 juin : 20h30
Dimanche 5 juin : 17h00Du 3 au 5 juillet à Saumur
du 12 au 24 juillet à Saint Gilles Croix de Vie
en septembre : Cube Cirque à Boulazac, La Balise à Saint Hilaire de Riez, Le May sur Evre…
les 6 et 7 octobre 2022 à La Villette à Paris
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