« La Russie entière est une prison » crie Kaliayev dans « Les Justes ». Une phrase qui aujourd’hui encore résonne dans la Russie contemporaine de Medvedev et Poutine gangrénée par la corruption. Albert Camus a écrit « Les Justes » en 1949. Basée sur des faits historiques, la pièce raconte l’histoire d’un groupe d’étudiants en 1905 qui projette d’assassiner un despote, le grand-duc Serge. Kaliayev est désigné par le groupe pour jeter la bombe au passage du grand-duc. Il s’y prendra à deux fois et sera emprisonné, et pendu, malgré la visite de la grande-duchesse Elisabeth (Véronique Nordey) qui lui proposera la grâce. Qu’est ce que la liberté ? C’est l’une des grandes questions de la pièce. « La liberté est un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi sur la terre » écrit Camus dans sa pièce. Faut-il tuer pour vivre libre ? Ce groupe d’étudiants russes se pose ces questions et Kaliayev s’impose des limites. S’il n’a pas jeté la bombe la première fois dans la calèche du grand-duc, c’est parce que sa femme et ses enfants s’y trouvaient.
Le couple central de pièce Dora-Kaliayev est interprété par Vincent Dissez et Emmanuel Béart, deux comédiens aux parcours diamétralement opposés. Et il fonctionne à merveille. Vincent Dissez en Kaliayev sort du théâtre elisabethain dans lequel il excelle. Ses dernières prestations la saison dernière ont laissé des souvenirs inoubliables : « Edouard II » de Marlowe dans la mise en scène de Cédric Gourmelon ou « Richard III » de Shakespeare dans la mise en scène de Sylvain Maurice. Et il s’impose dans ce rôle de Kaliayev, l’homme qui jette la bombe et meurt pendu en prison. Un personnage, complexe, rempli de doute, le seul catholique de cette bande d’anarchistes. Il est magistral. Emmanuelle Béart est elle aussi à sa place. Avec beaucoup d’humilité dans le jeu, elle se fond parfaitement dans cette troupe. Emmanuelle Béart n’est plus apparue au théâtre depuis 1996, et « Jouer avec le feu » de Stringberg dans une mise en scène de Luc Bondy (Bouffes du Nord). En fait sa carrière au théâtre est assez réduite. Après des débuts en 1986, puis en 1988 sous la direction de Bernard Murat (« La Répétition ou l’amour puni » de Jean Anouilh et « La Double Inconstance » de Marivaux), on l’a vu dans un « Misanthrope » en 1989 (Jacques Weber), puis dans un Musset en 1993 (« On ne badine pas avec l’amour de Musset », mise en scène Jean-Pierre Vincent aux Amandiers de Nanterre). Avec Nordey, elle ne joue pas les vedettes, et c’est bien ainsi.
Stanislas Nordey a demandé à ses comédiens de jouer d’une manière distanciée. Les comédiens sont souvent côte à côte, face au public. Il y a peu d’effets dans sa mise en scène, ce qui donne plus de relief au texte de Camus. Mais dans sa manière très frontale de jouer, dans assez peu de lumière, il ne facilite pas le plaisir des spectateurs du fond de la salle. Les derniers rangs de l’immense salle de la Colline ne sont guère favorisés, d’ailleurs ce sont eux qui partent en masse pendant les noirs. On peut les comprendre. Nordey fait dans l’intime sur l’immensité du plateau. Pour apprécier ses « Justes » il faut réellement capter le regard des comédiens, scruter leur moindre mouvement, apprécier la gestuelle de leurs mains.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Les justes d’Albert Camus
mise en scène Stanislas Nordey
collaboratrice artistique Claire Ingrid Cottanceau
scénographie Emmanuel Clolus
lumière Stéphanie Daniel
son Michel Zurcher
costumes Raoul Fernandez
assistanat Yassine Harrada
avec Emmanuelle Béart Dora Doulebov
Vincent Dissez Ivan Kaliayev
Raoul Fernandez Foka
Damien Gabriac Alexis Voinov
Frédéric Leidgens Boris Annenkov
Wajdi Mouawad Stepan Fedorov
Véronique Nordey La Grande-Duchesse
Laurent Sauvage Skouratov
Production
Théâtre national de Bretagne – Rennes, Compagnie Nordey, Grand Théâtre de Luxembourg
Le spectacle sera créé au Théâtre national de Bretagne le mardi 2 mars 2010 (2 – 13 mars 2010).
Le texte est publié aux Éditions Gallimard.
Les Justes a été créé le 15 décembre 1949 au Théâtre Hébertot, dans la mise en scène de Paul OEttly.
tournée
Théâtre des Treize Vents – Montpellier
du 27 au 30 avril 2010
La Comédie de Clermont-Ferrand
du 4 au 6 mai 2010
Théâtre National de la Colline
du 19 mars au 23 avril 2010
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
La Colline – théâtre national
15 rue Malte-Brun
Paris 20e
J’attends de voir ce spectacle avec impatience. merci de l’annonce.
Richard LAPALUS.
Beau travail d’acteurs (tous !) mise en scène magistral, costumes d’une grande beauté et sobrieté.